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Écosystèmes / géosystèmes
Océaniques

Écosystèmes / géosystèmes
Terrestres

Nos travaux réalisés dans le cadre du projet Malina, comme la grande majorité des recherches réalisées par la communauté internationale dans l'océan Arctique, se sont déroulés durant la période estivale alors que la zone est plus facilement accessible par bateau. Cette contrainte imposée par les rigueurs de cette région du monde, biaise fortement notre perception actuelle du fonctionnement de l'OA. Or, le printemps constitue la période la plus riches en événements saisonniers majeurs et brefs qui conditionnent le transfert d'eau et de matière vers l'océan, et la production biologique marine. La fonte des glaces et neiges terrestres et marines autour du solstice d'été est largement à l'origine des phénomènes abrupts observés (crue, débâcle, fonte de la banquise, efflorescences phytoplanctoniques et pic de production biologique qui s'ensuit). Durant le prochain quinquennat de Takuvik, nous consacrerons une grande partie de nos travaux à cette période de l'année. À court terme, nos efforts porteront sur l'efflorescence printanière du phytoplancton et ses conséquences sur l'écosystème marin, dans le cadre d'un vaste projet international que nous piloterons : le projet Green Edge. À long terme, nous développerons de nouvelles activités de recherche dans les systèmes côtiers, le cadre restant à définir selon l'évolution de nouvelles initiatives en gestation (voir le paragraphe précédent).
Le changement climatique a provoqué des modifications majeures des biotopes marins dans l'océan Arctique (OA). La diminution de l'étendue de la banquise durant l'été a entraîné une augmentation de 20% de la production primaire (PP) pan-arctique au cours de la dernière décennie. Les efflorescences de phytoplancton se produisent maintenant plus tôt au printemps dans plusieurs parties de l'OA. Dans d'autres régions, la structure de la communauté phytoplanctonique évolue vers des espèces plus petites, typiques de conditions oligotrophes, et quelques espèces rencontrées dans les eaux plus chaudes migrent désormais vers l'océan Arctique. Le bloom printanier de phytoplancton (BPP) qui se développe en marge de glace représente > 50% de la production primaire annuelle dans l'OA, et est généralement associée à un transfert important d'énergie vers les niveaux trophiques supérieurs, et à l'exportation de carbone vers les sédiments marins. En outre, la culture, la santé et l'économie des résidants du Nord sont étroitement associées aux ressources marines soutenues par le BPP. Le BPP Arctique se développe dans la zone de glace saisonnière, dont l'étendue pourrait atteindre l'ensemble de l'OA dès 2030. L'évolution du BPP dans ce contexte reste à être déterminée. S'étendra-t-il sur tout l'OA, pour ainsi contribuer à un écosystème plus productif? Les modifications des propriétés physiques de l'OA entraineront- elles plutôt une limitation du PBB? Comment répondra la biodiversité à ces changements? Pour être en mesure de répondre à ces questions, il est nécessaire de bien quantifier les processus physiques, chimiques et
biologiques impliqués dans le pré-conditionnement, le développement et le déclin du BPP. Comme il s'agit d'un phénomène transitoire se produisant dans une région éloignée, complexe et hostile, notre compréhension du BPP et de tous les processus qui en découlent demeure limitée. L'objectif général du projet Green Edge est de comprendre la dynamique du BPP et de déterminer son rôle dans l'OA de demain, y compris vis-à-vis des populations humaines. Plus précisément, nous voulons 1) comprendre les principaux processus physiques, chimiques et biologiques qui régissent le BPP, 2) identifier les espèces clé de phytoplancton impliquées dans le BPP et modéliser leur croissance dans diverses conditions environnementales, et 3) prévoir au cours des prochaines décennies l'évolution du BPP et du transfert de carbone à travers le réseau trophique et vers les sédiments.

Le projet Green Edge (2015-2018) repose sur un consortium scientifique multinational (Canada, France, Etats- Unis). Les chercheurs « marins » de Takuvik (et F. Dominé sur l'optique de la neige marine) seront tous très impliqués, si bien que Green Edge constituera un cadre fortement intégrateur de nos différentes expertises au cours des prochaines années. Bien que Green Edge ne couvrira pas toutes les activités de recherche de Takuvik « océan », nous détaillons ici plus amplement ce projet parce qu'il illustre le mieux la cohésion du programme de recherche marin de Takuvik.

1- La dynamique du bloom printanier de phytoplancton (Babin, Dominé, Levasseur, Lovejoy, Tremblay)

Un événement de BPP sera étudié au printemps 2015 dans la Baie de Baffin, de son apparition avant la fonte des glaces en avril jusqu'à son déclin dans la zone libre de glace en juillet (3 mois). La distribution spatiale des propriétés physiques, chimiques et biologiques sera documentée à différentes échelles de temps et d'espace grâce à l'utilisation d'un ensemble de dispositifs autonomes (flotteurs-profileurs dérivants, planeurs sousmarins, sous-marin propulsé), tous équipés d'un éventail de capteurs physiques et bio-optiques. Des études de processus seront réalisées sur la banquise à partir de Qikiqtarjuaq (village Inuit de la côte est de l'Ile de Baffin), et à bord du brise-glace de recherche Amundsen afin d'évaluer la diversité et les propriétés de croissance du phytoplancton, l'assimilation de nutriments, et les mécanismes physiques de petite échelle pertinents. Les propriétés optiques de l'eau de mer, de la glace et de la neige seront décrites en détail. Nous accorderons une attention particulière à la succession des diatomées durant le bloom pour bien comprendre ce qui la contrôle. Les espèces phytoplanctoniques clés, identifiées à l'aide de multiples outils (microscope imageur automatique, pigments, génomique) seront isolées et cultivées en laboratoire dans le cadre d'expériences visant à déterminer leur réponse à des variations environnementales, et pour comprendre la succession d'espèces durant le BPP. Tous ces travaux seront destinés non seulement à comprendre la dynamique du bloom et les processus impliqués, mais aussi à fournir les informations quantitatives nécessaires à sa modélisation couplée physiquebiologie. Les émissions de DMS associées au bloom de printemps seront aussi étudiées. Ce volet de loin le plus imposant du projet Green Edge implique, du côté canadien, des chercheurs de Takuvik, de l'ISMER (Rimouski), et de l'U. Manitoba (Winnipeg), du côté français, du LOV (Villefranche), LEMAR (Brest), LOCEAN (Paris), MIO (Marseille), LOMIC (Banyuls), de la Station Biologique de Roscoff, et du LIENS (La Rochelle), et de côté américain, de l'U. Maine (Bangor), du WHOI (Woods Hole) et de SIO (San Diego).

2- Le transfert de matière organique produite par le bloom à travers la chaine trophique et vers le fond de l'océan (Fortier)

Afin de déterminer l'impact du bloom printanier sur la chaine trophique et les flux de carbone, plusieurs dispositifs d'échantillonnage seront déployés du sommet de la colonne d'eau jusqu'aux fonds marins, y compris des filets à plancton, trappes à sédiment (courte et longue durée), systèmes vidéos pour dénombrer les particules et le zooplancton, systèmes acoustiques pour détecter les poissons. De plus, une approche par sclérochronologie (analyse des coquilles de bivalves) sera utilisée pour établir des séries temporelles du couplage pélagobenthique. Des mesures de broutage par le zooplancton et des analyses du contenu stomacal des poissons et de leurs larves complèteront le tableau. Grâce aux données récoltées, les flux verticaux de matière organique particulaire et le transfert d'énergie et de matière à travers la chaine trophique pourront être estimés. Plusieurs équipes canadiennes et françaises sont impliquées dans ce volet du projet Green Edge. Pour la France, le LOV (Villefranche), le MNHN (Paris), et le LEMAR (Brest). Pour le Canada : Takuvik, l'ISMER (Rimouski), l'U. Memorial (St.John's), GEOTOP (Montréal).

3- Tendances récentes (Babin, Dominé)

Une étude récente réalisée par des chercheurs américains et à laquelle nous avons contribué, a révélé qu'une grande partie de la PP pourrait de plus en plus s'effectuer sous la banquise parce que celle-ci transmet de plus en plus le rayonnement solaire (amincissement et fragmentation de la banquise, fonte précoce de la neige, mares de fonte omniprésentes au printemps) (Arrigo et al. 2012). Or, la télédétection de la couleur de l'océan ne permet pas de suivre cette PP. C'est pourquoi, dans le cadre de Green Edge, nous développerons une nouvelle approche qui combine des données satellitales de différents types (micro-ondes actives et passives, lidar, analyse spatiale, radiométrie vis-PIR) pour caractériser la transmittance à travers le système neige-glace de mer. Nous pourrons ensuite, même sans connaître la biomasse phytoplanctonique, estimer la PP sous banquise grâce à un modèle basé sur la lumière et les nutriments. Combiné à notre approche classique, ce modèle nous permettra d'établir des séries temporelles de la PP associée au bloom printanier, en eau libre et sous banquise. Nous déterminerons comment le BBP a évolué depuis 1998. Ce travail fera l'objet de collaborations avec des chercheurs du LOA (Lille), du LGGE (Grenoble), de l'UQAR (Rimouski), de l'Université du Manitoba (Winnipeg), du CRREL (New Hampshire), de la NASA, de la NOAA, du SIO (San Diego), et de l'Université du Maine (Bangor, USA).

4- Tendances passées (Massé, Antoniades)

Comme dans le cadre du projet Malina, nous combinerons nos travaux sur les tendances contemporaines et futures, à des travaux sur des événements passés. Il s'agit en particulier de déterminer comment le bloom printanier, qui produit l'essentiel du carbone organique particulaire enfoui au-delà des zones influencées par les panaches de fleuves, a réagi à des fluctuations passées du climat. Nous souhaitons en particulier déterminer jusqu'à quelle latitude le bloom a pu s'étendre durant des périodes chaudes. Des sédiments seront récoltés à l'aide de carottiers sur deux sites : en Baie de Baffin et sur le plateau sibérien. Les données de haute résolution temporelle de la Baie de Baffin permettront, par comparaison avec des séries temporelles de mesures in situ et satellitales, d'améliorer et d'étalonner les proxys géochimiques et biomarqueurs pour le suivi du bloom et de sa composition, et pour le suivi des conditions environnementales (température de l'eau, présence de glace de mer, circulation océanique). Des informations sur le contexte climatique seront aussi fournis par nos travaux réalisés dans les fjords du nord de l'Ile d'Ellesmere, plus précisément sur l'étendue des plates-formes de glace et de la banquise au cours de l'Holocène. Les échantillons récoltés le long d'un transect de 900 km du nord au sud sur le plateau sibérien permettront d'examiner la variabilité du bloom sur les deux derniers millénaires, et en particulier durant l'optimum médiéval. C'est travaux seront réalisés en collaboration avec plusieurs laboratoires français et canadiens (ISMER, Rimouski ; GEOTOP, Montréal ; EPOC, Bordeaux ; LOCEAN, Paris).

5- Tendances futures (Maps, Tremblay, Fortier, Babin)


Un modèle couplé physique-biologique sera optimisé afin de simuler le BPP dans l'OA et prédire les changements dans la communauté phytoplanctonique et dans la chaine trophique. Le modèle NEMO LIM-PISCES sera utilisé à des résolution élevée (1/32°) et modérée (1/4°) en Baie de Baffin et à l'échelle pan-arctique. Nous aurons au préalable optimisé et validé sa capacité à simuler le bloom printanier sous banquise et en eaux libres en affinant sa paramétrisation sur la base d'expériences numériques conduites avec un modèle 1-D, les mesures de laboratoire et les données in situ de la campagne Green Edge. Des simulations rétrospective (hindcast) et prédictive seront ensuite réalisées afin de s'assurer de représenter les conditions observées par le passé de façon satisfaisantes pour ensuite déterminer le comportement du BPP au cours des prochaines décennies suivant différents scénarios de changement climatique (jusqu'en 2050). Enfin, nous couplerons aussi le modèle DARWIN à NEMO LIM pour déterminer comment la composition spécifique et la distribution géographique des communautés phytoplanctoniques pourraient changer dans le futur. Cette approche innovante de la modélisation de la diversité des communautés phytoplanctoniques sera également poursuivie au niveau des communautés zooplanctoniques (Record et al. 2013). En effet la production de matière organique en Arctique est essentiellement restreinte à la courte période du BPP, mais le reste du réseau trophique pélagique en bénéficie toute l'année grâce à la capacité du zooplancton (en particulier des copépodes) de la stocker sous forme d'importantes réserves de lipides. Les observations recueillies sur la composition des communautés de zooplancton, la phénologie des espèces et les expériences menées en laboratoire permettrons de développer un modèle détaillé du zooplancton couplé à NEMO-LIM, qui sera validé par les observations passées et qui permettra de simuler les changements à venir dans les communautés de planctoniques et leurs impacts sur leurs nombreux prédateurs. Ces travaux seront réalisés à travers plusieurs collaborations, y compris avec le LOCEAN (Paris), le LEMAR (Brest) et LIENS (La Rochelle), l'ISMER (Rimouski) et le Département des Pêches et Océans du Canada (antenne de St.John's).