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Écosystèmes / géosystèmes
Océaniques

Écosystèmes / géosystèmes
Terrestres

Dégel du pergélisol et modifications des géosystèmes et écosystèmes arctiques

Les écosystèmes et géosystèmes continentaux de l'Arctique sont fortement conditionnés par la présence du pergélisol. La surface du terrain en milieu de pergélisol est très dynamique en raison du dégel et du regel annuel de la couche de surface appelée couche active. Ces sols gelés depuis très longtemps constituent la base sur laquelle évoluent les écosystèmes. Le pergélisol est aussi le sol de fondation des infrastructures humaines.
Souvent constitué de sédiments gelés de sources diverses, il contient une importante quantité de carbone
stocké sous forme principalement de matière organique qui est en fait du carbone fossilisé depuis souvent des millénaires. La présence de ces sols imperméables sur de vastes territoires détermine aussi le fonctionnement des réseaux hydrologiques des régions arctiques. Dans le contexte actuel de réchauffement, on assiste au dégel du pergélisol, avec épaississement de la couche active, fonte des masses de glace présentes dans le sol, et parfois disparition totale des sols gelés. Les modifications géomorphologiques sont dramatiques : affaissements et glissements de terrain, formation de dépressions dans lesquelles se forment des mares de thermokarst, affaiblissement et déformation des structures construites par l'homme, érosion des sols dégelés avec transfert d'une partie importante de leur réservoir organique vers le réseau hydrologique et en particulier les mares de thermokarst et l'océan. Dans ces mares, l'activité microbienne intense se nourrit de ce carbone et génère des émissions de CO2 et CH4 vers l'atmosphère, ce qui constitue une formidable boucle de rétroaction positive avec le climat. Takuvik propose de s'intéresser à quatre aspects de cette vaste thématique : (1) l'évolution du régime thermique du pergélisol de l'arctique canadien, et en particulier les rétroactions impliquant la neige et la végétation; (2) certaines modifications géomorphologiques des terrains arctiques, y compris celles affectant les infrastructures, et le transfert des particules organiques et minérales vers l'océan; (3) la dynamique et le fonctionnement microbien des mares de thermokarst, ce dernier volet apportant des informations critiques sur leurs émissions de gaz à effet de serre ; (4) les flux de carbone le long d'un continuum terre-mer. Une partie importante des activités décrites dans les paragraphes qui suivent sont réalisées dans le cadre d'un nouveau projet développé par le Centre d'Études Nordiques, le projet Hudsonie-21: Impacts des changements climatiques et des activités anthropiques sur les environnements nordiques. Le projet HUDSONIE21 est un projet de recherche d'envergure en cours d'éclosion, réunissant plusieurs membres du Centre d'études nordiques (CEN), y compris des chercheurs de Takuvik, qui travaillent en Hudsonie Jamésie. Portant sur une thématique d'actualité, en l'occurrence l'impact des changements climatiques et des activités humaines sur les écosystèmes et les géosystèmes nordiques, ce projet répond aussi aux intérêts et aux besoins des Premières Nations (http://www.creegeoportal.ca/climate-change/). Ce projet a une zone d'ancrage assez vaste, située au nord du Québec et délimitée par une ligne hypothétique connectant cinq des stations de recherche du CEN: Radisson, Whapmagoostui-Kujjuarapik, Umiujaq, Rivière Boniface, Lac à l'eau-Claire. Ce projet est fondé sur les résultats déjà acquis dans le cadre du projet pluridisciplinaire HUDSONIE, mis en place par les « anciens » chercheurs du CEN en 1968 (Hamelin et Cailleux, 1968) ainsi que sur les résultats subséquents lesquels ont bâti le cadre géologique, géomorphologique et biogéographique de la région d'étude (par ex. Allard et Tremblay, 1983a,b; Filion, 1984; Payette et Filion, 1993; Bhiry et al. 2011). De par leurs activités sur le terrain pendant les dernières dizaines d'années dans le nord du Québec, les chercheurs du CEN ont été et demeurent témoins des changements significatifs, parfois drastiques des écosystèmes terrestres et aquatiques nordiques. Engendrées soit par la fonte du pergélisol, les feux, les insectes ravageurs, des changements de taux des précipitations (pluie, neige) ou par les activités humaines et l'expansion urbaine, ces modifications doivent être documentés rapidement tout en utilisant une approche intégrative et innovante pour générer des connaissances scientifiques inédites permettant, entre autres, des prises de décisions adéquates relatives par exemple, à la gestion de la faune, du territoire et des parcs.

Le projet Hudsonie-21 est divisé en sept modules complémentaires : 1) Biodiversité et Dynamique de la forêt du haut boréal et de la toundra forestière, 2) Biodiversité et Dynamique des tourbières à palses et à thermokarsts, 3) Biodiversité et Dynamique des systèmes d'eau douce et de thermokarsts, 4) Lac à l'Eau-Claire : Bathymétrie, limnologie et géochimie, 5) Ressources en eau, 6) Interaction neige-végétation, et 7) Biodiversité et dynamique de la faune terrestre: mammifères, oiseaux et insectes. Les chercheurs de Takuvik (Allard, Antoniades, Dominé, Lovejoy, Pienitz, Vincent) sont impliqués, voir leaders des modules 3, 4 et 6.

1- Régime thermique du pergélisol et stockage de carbone (Dominé, Allard)

D'une part, le régime thermique du pergélisol est fortement influencé par les propriétés isolantes du couvert nival, qui limite son refroidissement hivernal. Ces propriétés isolantes sont fonction du climat, qui détermine les conditions du métamorphisme de la neige. La croissance de la végétation induite par le réchauffement est un facteur supplémentaire de modification des propriétés physiques de la neige, car elle limite l'action du vent comme l'érosion et la compaction, et de plus la présence d'éléments de végétation sombres augmente l'absorption de radiation solaire, ce qui réchauffe la neige. Ces dernières années, l'installation de stations de mesure des propriétés physiques de la neige et de nombreuses observations apportées par des campagnes de mesures ont permis d'obtenir un jeu de données important et original qui vont servir à la modélisation du manteau neigeux arctique et subarctique. Ceci se fera par adaptation du modèle de neige Crocus aux conditions de l'Arctique, en y incluant en particulier l'effet de la végétation. Une fois cette nouvelle version du modèle validée, Crocus couplé à des modèles de surface continentale comme ISBA et ORCHIDEE sera utilisé pour prédire le régime thermique du pergélisol en fonction de divers scénarios d'évolution du climat. Ce travail se fera en collaboration avec le CNRM-GAME et le LGGE, qui ont développé ISBA et ORCHIDEE, et sera financé par l'Institut Paul Émile Victor dans le cadre du projet ESCAPE - Ecosystems – Snow – ClimAte – PErmafrost feedbacks. Des collaborations auront également lieu avec la communauté canadienne, afin d'introduire les modifications dans le modèle canadien CLASS (A. Royer, Université de Sherbrooke), et de bénéficier de certains modules développés pour certains sols arctiques (N. Roulet, McGill). D'autre part, le pergélisol peut stocker environ deux fois plus de carbone que l'atmosphère. La fonte due au climat du pergélisol peut libérer d'énormes quantités de gaz à effet de l'atmosphère, ce qui représente une des plus fortes rétroactions climatiques positives. Les modèles actuels, tel que discuté dans le GIEC, ne peuvent pas prédire la force de cette rétroaction avec confiance parce que le taux de dégel du pergélisol implique des processus et des évaluations complexes qui ne sont pas décrites et parce que le réservoir de carbone gelé n'est pas traité de manière suffisamment détaillée. Nous avons identifié de fortes rétroactions positives entre la neige et la végétation qui sont susceptibles d'accélérer la fonte du pergélisol, car l'augmentation du couvert arbustif dans l'Arctique améliore les propriétés d'isolation thermique de la couverture de neige. Un consortium canadien-français a été assemblé en collaboration avec l'Université Laval, le CNRM-GAME et le LGGE, pour développer des approches expérimentales et de modélisation afin d'atteindre les objectifs suivants : (1) prédire le régime thermique du pergélisol, tout en tenant compte ces nouvelles évaluations; (2) prédire les émissions de gaz à effet de serre par la fonte du pergélisol et quantifier les évaluations pergélisol-climat. Ces études auront lieu dans les villages Inuit canadiens au Nunavik (Umiujaq et Kuujjuarapik) et au Nunavut (proche de Pond Inlet), où des enseignements seront également donnés dans des écoles. Cette recherche sera financée par la Fondation BNP Paribas dans le cadre du projet APT - Acceleration Of Permafrost Thaw By Snow- Vegetation Interactions 2014-2017.

2- Modifications géomorphologiques (Allard, Lajeunesse, Labrousse)

L'approfondissement de la couche active découlant du réchauffement climatique a pour conséquence de déstabiliser le terrain en provoquant des tassements et une perte de capacité portante à cause de la fonte de la glace contenue dans le pergélisol, particulièrement abondante juste à la base de la couche active, et aussi en raison du mauvais drainage sur le substrat imperméable. Les infrastructures comme les routes, les pistes d'aviation, les bâtiments, voire les communautés nordiques urbanisées en sont affectées. Sur les pentes, l'occurrence des mouvements de terrain est accrue. Les dommages causés vont en augmentant d'autant plus que grand nombre de ces infrastructures, notamment celles de transport, ont été construites au 20e siècle avant que le réchauffement climatique devienne une préoccupation. Les infrastructures elles- mêmes contribuent parfois au dégel du pergélisol qui les supporte lorsqu'elles sont mal conçues thermiquement et mal adaptées aux conditions locales de pergélisol. Notre programme a pour objectif de mesurer les propriétés physiques (texture, structure, teneur en glace, salinité, etc.) du pergélisol grâce à des échantillonnages et des forages, de procéder à des mesures et des suivis thermiques sur le terrain, de réaliser des simulations numériques, de procéder à des relevés géophysiques ainsi que de cartographier les conditions variables du pergélisol dans l'espace et des différents formes de terrain associées à sa dégradation. L'objectif est de mieux planifier l'aménagement du territoire pour finalement proposer, en amont des travaux de génie, des stratégies de développement et des concepts de construction sur mesure pour les gouvernements régionaux, les communautés et les industries. Nous poursuivrons ce travail de caractérisation du pergélisol dans le paysage, et notre démarche s'accompagnera du perfectionnement continu des méthodes et des technologies de caractérisation; notons par exemple l'amélioration des techniques de carottage des sols gelés, les nouvelles approches de télédétection, la mise au point de clés d'interprétation des relevés de géoradar, la détermination des propriétés physiques des carottes de pergélisol à l'aide du CT-Scan, le séquençage des procédés de laboratoire et la compilation des données multi-sources dans des systèmes d'information géographique. L'équipe continuera à maintenir des liens soutenus et assure le transfert des savoirs nécessaires en matière de pergélisol avec ses partenaires publics, autochtones et industriels et est appelée à participer à l'élaboration des concepts d'adaptation avec ses partenaires.

3- Dynamique, fonctionnement microbien et évolution des lacs nordiques (Vincent, Antoniades, Lovejoy, Pienitz)

Ce volet a pour but de mieux comprendre les interactions terre-eau dans les paysages de pergélisol, incluant le transfert de matière organique et sa transformation par les communautés microbiennes. Nos recherches portent sur les deux extrêmes de ce continuum d'interaction entre les systèmes aquatiques nordiques et leurs basins versants : les lacs ultra-oligotrophes dans le désert polaire du haut arctique canadien (Nunavut), où les processus autochtones (phytoplancton et phytobenthos) jouent un rôle prédominant, et les mares de thermokarst dans la toundra du bas arctique (Nunavik) dominées par les processus allochtones, surtout la dégradation bactérienne du carbone organique qui vient du dégel et de l'érosion du pergélisol. Dans les deux régions, nos recherches maintiendront leur l'accent sur la biodiversité moléculaire (analyses ADN et ARN) de toutes les composantes microbiennes : les archées, incluant les méthanogènes et les espèces nitrifiantes; les bactéries hétérotrophes, chimiotrophes et phototrophes; les eucaryotes microbiens phototrophes et hétérotrophes; et les virus aquatiques). Notre objectif est d'identifier l'influence du changement de climat sur l'environnement physique et géochimique de ces habitats et sur la structure et le fonctionnement de ces réseaux microbiens. Les méthodes paléolimnologiques seront également appliquées afin d'établir les relations entre le climat et les communautés microbiennes en reconstruisant le climat à long terme et déterminer son influence sur les changements biotiques. Nos recherches sur les mares de thermokarst maintiendront leurs aspects de modélisation de leur dynamique d'oxygène et l'évaluation des contrôles environnementaux sur leurs fortesémissions des gaz à effet de serre, notamment le dioxyde de carbone et le méthane.

4- Transfert de matière du continent vers l'océan et devenir des apports continentaux dans l'océan (Lajeunesse, Labrousse, Babin)


Takuvik abordera la thématique Terre-Mer en tentant de mieux comprendre le flux de sédiments et de carbone des milieux continentaux vers les milieux marins sur différentes échelles spatiales et temporelles, et selon différents changements environnementaux et climatiques. Les variables analysées seront les variations à court (101 ans), moyen (102 ans) et long terme (103-106 ans) du niveau de base (ou nommé niveau marin relatif) causées par des mouvements tectoniques (isostasie, mouvements épirogéniques) et des processus climatiques (hausses ou baisses eustatiques des océans : fonte des glaciers, hausse stérique due au réchauffement, etc.); les phases de reculs et d'avancées des glaciers, calottes glaciaires et inlandsis sur les côtes et les marges continentales de l'Arctique au Quaternaire (derniers 2,6 millions d'années), en lien avec les fluctuations climatiques et les changements dans les conditions paléoglaciologiques; la dégradation du pergélisol, le réchauffement du climat et la déstabilisation des terrains et leurs impacts sur la mise en disponibilité de sédiments et de carbone au flux sédimentaire vers la mer; et les bassins sédimentaires marins et lacustres de l'Arctique et leurs enregistrements des changements climatiques et environnementaux récents et anciens. Des informations sur les fluctuations du climat durant l'Holocène seront par ailleurs fournies par nos travaux de micropaléontologie sur des lacs et dans les fjords de la région. Les secteurs ciblés par ces analyses seront la côte ouest de la Baie de Baffin et les fjords des îles Ellesmere et de Baffin, la Baie d'Hudson et ses côtes ainsi que les îles de l'ouest de l'Archipel arctique canadien et leurs passages. Ces travaux seront réalisés dans le cadre du projet ArcticNet (thèmes 1.5 : Le fond marin de l'Arctique canadien : cartographie des ressources et de la navigation; et 2.4 : Instabilité des paysages côtiers dans les collectivités et régions de l'Arctique) et du projet ADAPT. Ces travaux bénéficieront par ailleurs de ceux déjà réalisés en zones deltaïques et côtières dans le cadre de Malina. Les outils de télédétection que nous avons développés serviront à quantifier les flux contemporains de carbone organique dissous et particulaire en aval de ce continuum terre-mer. Des séries temporelles démarrant en 1998 pourront être établies. Par ailleurs, nous sommes actuellement impliqués en tant que collaborateur (M. Babin) dans une étude de définition de programme de la NASA dont la finalité est essentiellement de développer un nouveau programme de recherche majeur sur les apports continentaux et leur devenir en zones côtières des Mer des Tchoukes et de Beaufort. Arctic-COLORS se veut ouvertement une suite du projet Malina qui aborderait entre autres deux aspects mal couverts par ce dernier : la variabilité saisonnière et l'érosion côtière (~50% des apports terrigènes de carbone organique). Un programme de financement Arctic-COLORS pourrait voir le jour autour de 2016. Notre démarche actuelle en tant que collaborateur vise à positionner Takuvik, et les communautés canadiennes (ArcticNet) et françaises (Chantier Arctique) par rapport à cette initiative d'envergure. Notons néanmoins le caractère, certes prometteur, mais embryonnaire de cette initiative.